L'un des enjeux majeurs de son travail consiste à articuler les deux plans disjoints du phantasme et de l'œuvre par l'intégration de nombreuses références religieuses et picturales dans l'agencement des photos. Des pieds exhibent leurs blessures ou leur chair tuméfiée. Une silhouette blême et hâve se dresse, nue, squelette vivant à la peau lacérée. Comment soutenir ces photos sans céder au dégoût ou à une trouble fascination? Qu'est-ce qui les dis
tingue de l'imagerie sado-masochiste ou des performances du body art?
A la lisière de l'insoutenable et de la folie l'œuvre de Nebreda explore ce que Kant nommait le sublime terrible. Ses photos respectent deux impératifs : ne pas laisser l'objectif apparaître dans le champ, et ne montrer que Nebreda.
Pourtant l'Autre est représenté dans une photo où, pour la première et dernière fois, sa mère paraît. Non seulement celle-ci transgresse ces interdits car elle est en train de photographier son fils, mais encore l'appareil est visible, devant son visage. Photo la plus risquée du livre, qui enfreint les principes de l'Ordre voulu par D.N.N., ou semble les enfreindre.
A première vue, la mère se contente de photographier le miroir où se reflète son image, tandis que l'auteur se tient de côté, échappant à la prise du miroir. Toutefois, puisqu'il figure sur la photo, on pourrait croire que sa mère parvint malgré tout à le prendre, qu'elle aurait réussi, en s'emparant de l'objectif, à retourner sa seule arme contre lui. Elle étendrait son emprise sur le double photographique, et rien ne saurait plus lui résister. En violant ainsi la Loi, elle s'apprête à absorber quasi incestueusement le corps du fils. Mais ce n'est qu'un simulacre, comme l'atteste la légende de la photo : "Parabole de la mère et du fils". La mère simule la réalisation d'un portrait du fils et le fils fait son autoportrait aux trois mères. Ainsi, le fils réalise ce que la mère ne peut que simuler pendant qu'elle s'efforce en vain de le capturer dans la photo. Lui seul réussit à capter et son image et celle de sa mère. Pour cela, il installa sa mère derrière l'appareil, comme si elle prenait la photo, en fait déclenchée par lui, à distance et en différé.
Apparemment victorieuse, la mère se trouve en fait doublement captive et du miroir où elle se reflète et de la photo que le fils a prise d'elle. Vaincue sur son terrain - celui des doubles et des simulacres- par un redoublement de simulation qui semble être pour Nebreda la seule voie d'accès possible à la vérité de l'œuvre.
Plus rusé que la Mère, le fils parvient à fixer son regard de Méduse, et la légende prend acte de sa victoire en évoquant un autoportrait "aux trois mères".
Il s'agit sans doute de la mère "réelle" et des deux énormes mouches qu'il a disposées au premier plan. Lui qui était le déchet de la jouissance de sa mère, voici qu'il ravale sa mère au rang de déchet, qu'il l'emprisonne dans l'image, engluée dans son reflet comme ces mouches mortes collées sur le tissu... C'est en vain que la Mère s'efforçait de transgresser l'interdit. Le montage de cette photo s'emploie en fait à protéger le corps du fils, à le soustraire à sa prise, en rétablissant au moyen d'une métaphore l'autorité de la Loi. Sa légende nous invite en tous cas à y reconnaître une parabole de toute son œuvre.
Trois éléments constituent son système.
des textes, et les éclairages, le décor, les effets de contraste ou de cadrage, tout ce qui participe de la composition de la photo.
Quelle est la portée de cette expérience limite de la dégénérescence et de la régénération, de la Passion et de la résurrection? L'expérience des limites rencontre sa dimension éthique. Car il s'agit bien d'une décision éthique -ce qu'il désigne comme "un arc bref de cri dans lequel nous devons décider si notre choix est celui de notre propre mort ou celui de la mort de l'autre".
Enfin, du plan primaire des phantasmes psychotiques et des rituels, les stigmates de Nebreda s'élèvent au plan de l'œuvre, où ce qui est le plus proche de soi-même devient le plus universel. La difficulté consiste à sauver l'équilibre entre les deux lignes de force de l'œuvre, entre le plan de la procédure, où le phantasme se grave à fleur de pe
au, et celui des constructions esthétiques ou mythiques. Quand le souci formel domine, les traces sublimes de la folie sont ténues. Quand la violence du phantasme l'emporte, le sublime dérive alors vers l'horreur. La singularité de son travail tient donc à l'entrelacs d'éléments hétérogènes, au croisement de deux plans qui se recoupent sans se confondre, et une contention constante entre ces deux plans dans chacun de ses portraits. Il se fond sur un "compromis-limite" entre le clinique et l'esthétique.
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